PORTRAIT. Encore aujourd’hui, il est possible de croiser régulièrement un laitier qui fait ses livraisons à domicile dans les rues de son quartier. C’est plus rare de voir des boulangers sur la route. L’un des derniers à le faire encore au Québec roulait dans les rues MRC de Lotbinière et il a accroché les clés de son camion le 30 octobre dernier.
Bien assis devant un café, Pierre Bourget, partage photos, souvenirs et cartes de remerciements reçus de ses clients, petits comme grands. «Monsieur Pain», comme l’appelaient les enfants d’une garderie qu’il visitait, est sorti chaque matin pendant 46 ans et un mois avec son camion rempli de pains, biscuits, gâteaux et pâtisseries pour faire sa tournée. Au moment de sa retraite, il visitait régulièrement de 300 à 400 commerces et résidences dans les rangs de Saint-Apollinaire, Saint-Agapit et Saint-Antoine-de-Tilly.
Le nouveau retraité s’est plongé tout naturellement dans ses souvenirs. Il a commencé sa carrière en travaillant pour la boulangerie Simon Pleau de Saint-Édouard. Il y est demeuré pendant 11 ans avant de «me partir à mon compte.»
Aussi, pendant 26 ans, il a roulé avec son frère. Il a vécu plusieurs événements cocasses au fil des décennies, malgré tout ce sont les rencontres qui l’ont marqué.Jamais, dit-il, il n’a jugé ceux chez qui il allait.
«J’ai développé des amitiés avec mes clients. C’est normal, j’entrais dans leur intimité, dans leur quotidien. Certains se confiaient à moi», a-t-il lancé. D’ailleurs, il assure avoir toujours gardé pour lui les confidences qu’on lui faisait. Il ne voulait pas briser le lien de confiance qu’il avait tissé avec eux.
Ces liens se sont aussi développés à travers les générations. Il a vu grandir les enfants de ses clients. Des années plus tard, une cinquantaine de ces jeunes adultes sont aussi devenus ses clients. Aussi, il livrait encore à une dame âgée de 98 ans qui vivait toujours à son domicile.
À l’extérieur, il neige; la première bordée de la saison. Les conditions routières sont mauvaises. La route est glissante. Pourtant, s’il avait encore été au travail, M. Bourget ne s’en serait pas soucié et aurait visité l’ensemble de ses clients. «En 46 hivers, je n’ai jamais manqué une journée. Je livrais, même pendant les tempêtes. J’ai affronté les tempêtes et le temps froid.»
Il a aussi connu des moments plus difficiles. «Le plus dur, ce sont tous les décès et les deuils qu’il fallait faire.» Les deux dernières années, avec la crise sanitaire et la COVID-19, l’ont mené à plusieurs remises en question.
«J’avais l’impression que [certains croyaient que] je transportais la maladie avec moi. J’ai perdu une dizaine de clients. […] J’ai pensé tout lâcher. Cependant, certaines personnes avaient des craintes, ne voulaient plus sortir et m’appelaient.»
L’année qui s’achève n’a pas été facile, plusieurs décès dans son entourage proche ont miné la motivation qui le faisait continuer. «Je remercie mes clients pour leur fidélité et leur engagement. C’est le côté humain qui est important», rappelle-t-il.
Et la relève ? M. Bourget n’en a pas. Il aurait eu l’occasion de «vendre sa route», mais pour lui, le fait d’arrêter lui permettait de mettre «un point final» à ce chapitre de sa vie. Maintenant, il compte profiter du temps qu’il a devant lui, passer de bons moments avec ses chiens et apprécier le moment présent.